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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 225
Janvier 2019
X et autres c. Bulgarie – 22457/16
Arrêt 17.1.2019 [Section V]
Article 3
Enquête effective
Obligations positives
Allégations d’abus sexuels dans un orphelinat non corroborées par le dossier d’enquête et les mesures de prévention en place : non-violation
Article 8
Obligations positives
Article 8-1
Respect de la vie privée
Allégations d’abus sexuels dans un orphelinat non corroborées par le dossier d’enquête et les mesures de prévention en place : non-violation
En fait – Nés en Bulgarie, les requérants sont une fratrie d’enfants mineurs. En juin 2012, à l’âge de 12, 10 et 9 ans respectivement, ils furent adoptés par un couple italien. En décembre 2012, les parents adoptifs déposèrent une plainte auprès de la police italienne pour des abus sexuels que les enfants auraient subis lorsqu’ils étaient placés dans un orphelinat en Bulgarie. Ils contactèrent un journaliste d’investigation, qui publia ensuite dans un hebdomadaire en Italie un article décrivant des abus sexuels systématiques sur de nombreux enfants de l’orphelinat. Les autorités italiennes transmirent la plainte aux autorités bulgares. Entre-temps, l’écho de l’article italien dans les médias bulgares avait amené l’Agence nationale pour la protection de l’enfance (ANPE) à ouvrir une enquête. Le parquet enquêta lui aussi et rendit des décisions de non-lieu, considérant que les éléments recueillis ne corroboraient pas les faits allégués.
En droit – Articles 3 et 8
a) Applicabilité – De par leur jeune âge et leur situation d’enfants privés de soins parentaux et placés dans une institution, les requérants étaient dans une situation de particulière vulnérabilité ; dans ce contexte, les abus sexuels et les violences allégués sont suffisamment graves pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. Ces abus touchant à leur intégrité physique et morale, élément de la « vie privée », l’article 8 est aussi applicable.
b) Observation
i. Sur l’effectivité de l’enquête menée – Les autorités bulgares compétentes ont agi avec promptitude et diligence dès qu’elles ont eu connaissance des faits allégués, sans même avoir été formellement saisies d’une plainte. Elles ont également pleinement coopéré avec les autorités italiennes, en les tenant informées des résultats de l’enquête, et en prenant en compte les nouvelles pièces transmises par celles-ci. Les délais de plusieurs mois parfois intervenus dans la communication avec le ministère italien de la Justice ne paraissent pas excessifs dans un contexte de coopération intergouvernementale, ni de nature à avoir compromis l’enquête, puisque celle-ci était alors déjà achevée.
Il n’y a pas lieu de douter de l’indépendance ou de l’impartialité de l’ANPE : ni l’agence ni ses employés n’étaient mis en cause dans la présente affaire.
Les services de protection de l’enfance et la police se sont rendus sur place contrôler les dossiers (notamment médicaux) des enfants de l’orphelinat et interroger le personnel, les enfants et d’autres personnes concernées, tant sur leur vie à l’orphelinat que sur d’éventuels abus.
Reprocher à l’enquête de n’avoir pas commencé par des mesures d’investigation plus discrètes (écoutes ou agents infiltrés) apparaît peu pertinent, puisque les parents des requérants avaient eux-mêmes rendu l’affaire publique via un journaliste, que celui-ci était déjà entré en contact avec des personnes impliquées et que l’article publié en Italie avait déjà été repris par les médias bulgares. Quant à l’absence de perquisitions ou de saisies, il n’apparaît pas que les représentants des requérants aient demandé la réalisation d’actes d’enquête complémentaires.
Il n’appartient pas à la Cour de tirer ses propres conclusions des éléments rassemblés par les autorités internes et de se substituer à celles-ci pour évaluer notamment la crédibilité des dépositions des différents témoins. En l’espèce, le parquet était face à deux versions contradictoires. Or, même si l’authenticité des témoignages des requérants, que les psychologues et le parquet italiens ont considérés comme crédibles, ne saurait être remise en cause, il reste que : i) ces témoignages, seuls éléments de preuve directs, ne sont pas circonstanciés et contiennent peu de détails factuels, notamment compte tenu du jeune âge des intéressés et de leur faible connaissance de l’italien à l’époque où leurs propos ont été recueillis ; ii) les autorités bulgares n’ont pas été en mesure d’interroger les requérants ; iii) aucun certificat médical ne venait corroborer les allégations de violences à leur égard. Dans ces circonstances, il n’était ni arbitraire ni déraisonnable pour les autorités de conclure que les éléments en leur possession ne permettaient pas de considérer les faits allégués comme établis.
Partant, l’affaire ne révèle pas de défaillances blâmables ou l’absence de volonté de la part des autorités compétentes de faire la lumière sur les faits ou d’identifier et poursuivre les personnes éventuellement responsables.
Les requérants ne sauraient non plus reprocher aux autorités bulgares de ne pas avoir suffisamment tenu leurs représentants légaux informés du cours de l’enquête, puisque les premières enquêtes de l’ANPE et du parquet avaient été ouvertes sans que leurs parents adoptifs n’aient porté plainte ni se soient manifestés ultérieurement auprès des autorités d’enquête. Quant à l’enquête ouverte à la demande des autorités italiennes, s’il est vrai que ses résultats ont été transmis à ces dernières avec plusieurs mois de retard et seulement après relance, il reste que les parents des requérants avaient la possibilité de contester l’ordonnance de classement sans suite et que le parquet supérieur a dûment examiné leur lettre en ce sens transmise par les autorités italiennes.
ii. Sur l’obligation de prendre des mesures de protection – Diverses mesures générales avaient été prises pour assurer la sécurité des enfants résidant à l’orphelinat : l’accès de personnes extérieures était contrôlé ; les personnes extérieures ou les employés de sexe masculin n’avaient accès aux salles réservées aux enfants que lorsque cela était nécessaire et en présence d’un membre féminin du personnel ; les enfants étaient régulièrement suivis par un médecin traitant extérieur et par la psychologue de l’établissement ; ils avaient accès à un téléphone et à un numéro d’urgence destiné aux enfants en danger.
En ce qui concerne l’obligation de prendre des mesures pour empêcher des mauvais traitements dans un cas spécifique, l’enquête a permis d’établir que la directrice de l’établissement, prétendument alertée par les parents des requérants, ne portait pas le prénom qu’ils indiquaient, et que l’employée qui portait ce prénom démentait avoir été informée de faits de cette nature. Les dossiers des enfants et les dépositions du médecin traitant et de la psychologue de l’établissement n’avaient pas non plus révélé d’indices en ce sens. L’enquête pénale ouverte à la suite de plaintes d’autres enfants de l’orphelinat n’est pas ici pertinente, les faits en cause n’étant pas similaires. Quant à la situation d’autres enfants adoptés en Italie, à la supposer avérée, rien n’indique que les autorités bulgares avaient connaissance de faits d’abus sur d’autres enfants à l’époque des faits.
Conclusion : non-violation (unanimité).
(Voir aussi la fiche thématique Protection des mineurs)
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